Aller au contenu principal

Entrée gratuite

Maider López

Exposition Tempête

Tocar el Museu. Maider López

Passée

20/09/2024 - 01/12/2024

Sur les murs, une trace

Un groupe de personnes est un ensemble d’individus qui rassemblent leurs énergies pour atteindre un objectif spécifique. Une équipe, pour sa part, est un ensemble de personnes qui partagent un objectif commun et doivent s’organiser pour atteindre un même but. Ces deux définitions semblent similaires, mais dans le fond il n’en n’est rien. Alors que le groupe fonde son potentiel dans les relations d’interdépendance établies par ses membres, l’équipe atteint son objectif uniquement en additionnant les efforts et les ressources partagées. Autrement dit, l’équipe peut atteindre son objectif sans que ses membres fusionnent (rappelons qu’une équipe est une somme d’individualités). Par contre, un groupe, dont le fonctionnement dépend du degré de fusion des individus qui le constituent, n’aboutit à rien si une alliance n’est pas créée entre ses membres. 

Faire partie d’une équipe n’est pas la même chose qu’appartenir à un groupe. S’il est possible de quitter facilement une équipe, il est beaucoup plus difficile d’abandonner un groupe. Cela vous affecte au plus profond. 

Les œuvres de certains artistes ne nécessitent aucune explication pour que l’esprit du spectateur s’anime et imagine tout un univers à partir de ce qu’il perçoit. Que ce soit un groupe ou une équipe, qu’il soit en arrêt ou en mouvement, qu’il vous interpelle ou non... Indépendamment de ce qu’il fait. Cela peut faire naître la possibilité de se laisser porter el d'observer ce qu'il passe. Par exemple, avec une œuvre. Tranquillement. Sans se presser. Sans a priori. 

Se laisser porter par une œuvre pour observer, de façon neutre, ce qu’elle dégage, ne signifie pas qu’elle soit meilleure, pire ou équivalente à toute autre. Cela signifie que la possibilité d’appréhender ce qui se passe au cours des minutes qui s’égrènent sur une horloge apporte la possibilité de spéculer autour de ce que l’on désire, quel que soit l’objet de ce désir. Et de vous poser des questions. Par exemple : Que pense un artiste lorsqu’il réalise une œuvre ? 

L’œuvre d’un artiste peut captiver le spectateur pour plusieurs raisons. Cependant, lorsqu’il le fait pour montrer au public que, lorsqu’il fait des choses que nous ne comprenons pas, qui nous interpellent, nous distraient ou nous inquiètent, à moins que nous les prenions pour des aliénés, nous devrons nous poser certaines questions, dont celles-ci : Que font-ils ? Pourquoi ? Comment le font-ils ? Ils sont allés là ? Ils y étaient déjà ? Qui est l’organisateur ? Quand cela a-t-il commencé ? Comment était-ce au début ? Est-ce facile de faire ce qu’ils font ? Est-ce difficile ? N’ont-ils pas d’autres choses à faire ? Est-ce comme ça qu’ils passent leur vie ? Combien de temps y consacrent-ils ? Est-ce aussi joyeux, triste ou léger qu’il n’y paraît ? Ce qu’ils font est-il si nécessaire ou si vain ? Pourquoi est-ce que je ne comprends rien ? Dois-je comprendre quelque chose ? Pourquoi ? Ai-je besoin de savoir ce qu’ils font ? 

Être face à une œuvre qui interroge et qui, au lieu d’apporter des conclusions, évoque l’impossibilité de comprendre, signifie que la curiosité est présente et nous appelle. C’est alors qu’il est nécessaire d’être ouvert et d’accueillir les conséquences.

Je crois que si mes mains ne s’étaient pas arrêtées à la fin du paragraphe précédent, —deux paragraphes plus haut, c’est-à-dire celui des questions—, je serais arrivé à la fin de ce texte en demandant à Maider López de m’expliquer ce qui m’intrigue depuis son Playa ou Ataskoa, deux de ses œuvres de 2005 dans lesquelles elle remettait des serviettes rouges aux baigneurs d’une plage ou qu’elle créait un embouteillage monstre au beau milieu d’une colline perdue. Elle a réussi à me mettre dans la peau de l’une des personnes qui y apparaissent pour en profiter à fond, faisant exploser toutes les règles qui ne sont écrites nulle part, et surtout, pour profiter de la possibilité d’apporter certaines doses d’imprévisibilité dans des vies aussi monotones que les nôtres.

Bien que je devine ce que penserait Maider López en proposant à un groupe d’étudiants de[1] « parcourir les limites et les contours d’éléments de la nature et de structures architecturales, en les touchant avec les mains, l’une à côté de l’autre »[2], je crois que ce qu’elle cherchait en réalité était ce qu’elle fait depuis le début de sa carrière : voir les choses d’une façon différente. Et, en passant, nous faire comprendre que nous pouvons tous le faire. Avec une perspective différente. Avec d’autres paramètres. Avec deux, quatre, huit, seize personnes ou bien plus. Avec une bonne dose d’imagination.

Maider López propose une vision de la nature à partir de fragments délimités par des mains ou des actions similaires pour attirer l’attention sur n’importe lequel des éléments constitutifs de l’architecture. Elle nous fait prendre conscience du toucher en tant que l’un de nos sens les plus oubliés, bien qu’ils existent dans la limite de notre périmètre corporel et, par conséquent, parler de la distance qui nous sépare de l’extérieur. Par le biais de la fusion d’un ensemble de corps pour poinçonner le tronc d’un arbre, l’angle d’une maison, le profil imperceptible d’une roche ou les contours d’une fenêtre depuis l’extérieur, le toucher évoqué par Maider est aussi celui d’un sens capable d’atteindre un objectif commun.

Contours est le titre d’une série d’œuvres de Maider López qui questionne le rapport entre nos corps et l’architecture, et emplit l’air de questions. Seul un groupe de personnes peut répondre à cette question —n’importe quel groupe de personnes— en négociant la fusion de leurs corps, en les tordant à la manière des statues classiques, de façon adéquate, comme bon leur semble, comme il leur plaît ou comme ils le décident tous ensemble. Entre tous les membres du groupe, je veux dire. Même si, dans tous les cas, leurs réponses ne sont jamais dignes de foi. Seulement une possibilité. Ou plusieurs parmi toutes les possibilités.

Après avoir développé ce travail à l’extérieur, l’artiste a décidé de diriger son regard vers l’intérieur, afin d’écouter l’âme d’un espace d’expositions par l’intermédiaire de la Colla Jove Xiquets de Tarragone et sa capacité d’assembler les corps pour l’obtention d’un objectif commun. Un autre type d’objectif, un autre type de chorégraphie corporelle.

Entraîné pour ériger des tours humaines capables de caresser le ciel grâce à l’union de la force de ses membres, le groupe Colla Jove de los Xiquets, qui a répondu à l’appel de Maider López, a été invité à procéder de façon différente à ce dont il était habitué. À savoir, réaliser une représentation à l’intérieur d’un espace fermé, s’organiser dans une salle sans la présence d’un public, se coordonner pour ne pas monter plus d’un étage, s’harmoniser entre eux sans la musique des instruments traditionnels qui animent leurs gestes et faire ce qu’ils croient adéquat à partir de la consigne d’une artiste qui leur demande d’appréhender l’espace de façon différente, suivre les instructions suivantes : « Toucher l’espace. Habiter la salle d’expositions avec des hauteurs, postures et relations différentes. Parcourir l’espace de la salle avec les mains. Construire une architecture avec nos corps en nous organisant d’abord comme un groupe ». C’est-à-dire, construire. Ne pas construire une tour, mais le volume d’un espace intérieur, avec l’aide d’un groupe de corps et leur capacité d’organisation.

Ce que vous voyez ou ce que vous verrez lorsque vous le souhaiterez, c’est la trace d’une action qui a eu lieu dans un espace généralement ouvert au public, qui s’est déroulée un jour que nous ignorons, que le jour où cela a eu lieu il n’y avait personne dans la salle et que le groupe qui a réalisé cette action a dû se contenter de délimiter un espace et renoncer à embrasser le ciel par le sommet d’une tour humaine. Ils ont réalisé leur performance dans un espace vide, sans personne, sans air, sans bruit. 

En laissant la trace de leur performance adhérée à ces murs.

 

Frederic Montornés

Juin 2024


 


[1] De l’Université des Beaux-Arts de Nevşehir, Cappadoce, Turquie

[2] Comme l’explique l’artiste elle-même sur son site Internet : https://maiderlopez.com/portfolio/contours/